Au cœur de la transition écologique, la neutralité carbone s’impose comme un objectif mondial d’ici 2050. D’abord affirmé dans les accords de Paris, puis par l’Union européenne, on va vous expliquer plus précisément ce concept et ses enjeux. Réduction des émissions, puits carbones … Comment atteindre la neutralité ? À quelle échelle ? La neutralité carbone devient aussi de plus en plus populaire dans le vocabulaire des États et des entreprises qui prétendent parfois être “neutre en carbone”, formule souvent assimilée à du greenwashing …
Qu’est-ce que la « neutralité carbone » ?
Le concept de neutralité carbone
La neutralité carbone définit un équilibre entre les émissions anthropiques de carbone (émissions dues à l’activité humaine) et leur séquestration hors de l’atmosphère par des « puits carbone ». Elle est également désignée par l’expression “zéro émission nette” (ZEN).
Un puits carbone est un réservoir capable de séquestrer le carbone, c’est-à-dire le tenir hors de l’atmosphère sur le long terme. Les océans et les forêts représentent la quasi-totalité des puits carbones naturels : les océans sont les plus importants. Ils représentent plus de deux tiers de la séquestration, le reste étant séquestré sur les continents.
La neutralité carbone, un objectif global
La neutralité carbone n’a de sens qu’à l’échelle de la planète. On ne peut pas penser la neutralité carbone comme un objectif à atteindre à chaque échelon : à l’échelle d’un pays ou d’une entreprise, être « neutre en carbone » ne veut pas dire grand-chose. De plus, les différents territoires, secteurs économiques et acteurs de la transition ne sont pas tous égaux devant la transition vers la neutralité carbone. L’atteinte d’une neutralité carbone “arithmétique” n’est donc pas un objectif pertinent à leur échelle.
Selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) “les acteurs économiques, collectivités territoriales et citoyens ne sont, ni ne peuvent devenir, ou se revendiquer, neutres en carbone« . En revanche, cette vision s’assouplit pour l’État : “La neutralité carbone a un peu moins de sens à l’échelle d’un pays, mais il faut forcément passer par les États pour coordonner l’action à l’échelle de la planète”, soutient Fanny Fleuriot, auteure de l’avis de l’Ademe sur la neutralité. En France, la SNBC (stratégie nationale bas carbone) est une feuille de route publiée en 2015 pour « décarboner » le pays : elle permet aux différents acteurs d’entreprendre des démarches à leur échelle dans le cadre de l’objectif de la neutralité.
Atteindre la neutralité carbone
Quel est le bilan carbone actuel ?
Aujourd’hui les puits de carbone naturels disponibles sur la planète éliminent près de 10 gigatonnes d’équivalent CO2 par an. Mais les émissions de carbone en représentent, elles, 38 gigatonnes par an. Le déséquilibre est donc clair, nous sommes loin du “zéro émission nette”.
Depuis 1960 les émissions anthropiques de carbone n’ont cessé de croître (voir graphique). En parallèle, la capacité des puits carbones s’est maintenue et a même augmenté. Cependant, les performances des puits de carbone s’essoufflent et ne suffisent pas à compenser la hausse des émissions. Les émissions nettes de carbone ont augmenté presque continuellement depuis 1960.
Les leviers à notre disposition
Si nous voulons atteindre la neutralité carbone, il nous faut donc réduire l’écart entre les émissions croissantes et leur séquestration par les puits carbones.
Logiquement, deux leviers sont à notre disposition pour atteindre le “zéro émission nette” :
- Réduire nos émissions carbones
- Augmenter les capacités des puits carbones
Même si l’on concentrait tous nos efforts sur les puits carbones, ces derniers ne pourraient pas absorber les émissions carbones observées actuellement avant 2100. Encore moins si les émissions continuent à croître à la vitesse que l’on connaît aujourd’hui. Il est donc absolument nécessaire de s’appuyer sur ces deux leviers simultanément.
La réduction des émissions passe par une transition écologique et énergétique de notre société. Dans cette optique, à l’échelle de l’Union européenne, la Commission a exposé des propositions de loi qui concrétisent son « Green Deal » et dessinent une Europe plus verte.
Le deuxième levier consiste à augmenter les capacités des puits carbones. En plus des puits carbones naturels, le développement de technologies visant à séquestrer le carbone est en cours. Cependant, celles-ci sont coûteuses, consommatrices d’énergie et incertaines. Il vaut donc mieux prioriser la protection des stocks existants et leur augmentation. La protection des écosystèmes est aussi bénéfique pour la biodiversité et la qualité des sols.
Enfin, l’Ademe prescrit une mobilisation de l’ensemble des acteurs “au-delà de l’État”. Territoires, organisations et citoyens : ces acteurs doivent entamer, à leur échelle, une démarche de neutralité carbone.
Attention au Greenwashing !
Comme on l’a dit précédemment, la neutralité n’a pas vraiment de sens à une échelle autre que celle de la planète. Cependant de plus en plus d’acteurs se revendiquent « neutres en carbone » ou annoncent faire des efforts dans l’objectif de la neutralité. L’importance croissante de l’écologie aux yeux des citoyens et des consommateurs conduit les entreprises et les gouvernements à se donner une apparence “verte”. Ces techniques de communication et de marketing cachent parfois une réalité bien différente.
La compensation carbone
Pour atteindre la neutralité carbone, une solution pour un acteur est la compensation carbone. Elle consiste à financer un projet dont l’activité permet d’éviter des émissions. Ce financement s’effectue via l’achat de crédits carbone. Ces crédits carbone se convertissent ensuite en une certaine quantité de carbone, que le financeur pourra déduire de ses émissions dans son bilan. Cette compensation peut aussi bien être utilisée par une collectivité territoriale que par une organisation. Pour donner un exemple concret de compensation, la Suisse (signataire des Accords de Paris) a financé l’achat de cuisinières « efficientes » pour certains ménages au Pérou.
Théoriquement cette solution ne devrait être utilisée qu’après avoir fait tous les efforts pour réduire les GES (gaz à effet de serre) et augmenter les capacités de séquestration. Le surplus de GES peut alors ensuite être compensé en finançant le projet d’un tiers. Mais dans la réalité, cette mesure pourrait conduire à des excès, et constitue une échappatoire face à la nécessité pour un acteur de réduire ses émissions.
L’Ademe prévient dans son rapport sur la neutralité carbone : “Dans l’optique d’afficher une réduction de leur impact GES, certains acteurs privilégient en effet le financement de projets de compensation peu onéreux plutôt que d’investir dans un réel projet de décarbonation de leur activité.” Une stratégie environnementale qui place au centre la compensation peut masquer le fait qu’il reste à l’entreprise d’autres leviers pour agir, peut-être plus coûteux.
Il faut vraiment faire en sorte que les acteurs n’intègrent pas la compensation comme un levier principal, comparable à la réduction des émissions GES ou le renforcement de ses propres puits carbones, mais bien comme une solution de dernier recours.
Les promesses excessives des entreprises pour la neutralité
Le rapport de l’ONG Oxfam “Pas si net”, reproche un plan de neutralité carbone reposant de manière excessive sur les puits carbones. Les entreprises s’engagent souvent dans des projets de reforestation et de boisement afin de compenser leurs émissions. Or, à eux seuls, ces réservoirs de carbone ne seront pas suffisants. De plus, l’ONG affirme que cette stratégie pourrait engendrer une crise alimentaire. Elle estime que de nombreux gouvernements et entreprises s’engagent dans des promesses de “zéro émission nette” sans en définir clairement les contours.
Les promesses de boisement afin de compenser les émissions d’une entreprise risquent de reposer sur l’utilisation de vastes étendues de terres dans les pays à faible revenu (où les inégalités foncières sont plus importantes). Ainsi, cela permettra aux plus grands émetteurs d’éviter de réduire considérablement leur propre émissions. En plus de retarder ou éviter les efforts en matière de réduction des émissions, le rapport alerte que ces mécanismes de compensation pourraient entrainer une forte hausse de la demande en terre et mener à terme à un manque de nourriture.
Pour illustrer cette situation, Oxfam a analysé les objectifs “zéro émission” des quatre plus grandes entreprises de pétrole et de gaz (Shell, BP, TotalEnergie et Eni). À eux seuls, leurs plans pourraient nécessiter une superficie deux fois supérieure à celle du Royaume Uni.
L’ONG souligne aussi qu’en Inde des terres traditionnelles ont été réquisitionnées aux fin de boisement. Les communautés qui exploitaient légalement ces terres ont été expulsées de force et laissées sans abris. Ces conflits affectent près d’un demi-million de personnes parmi les populations tribales et forestières.
Le rôle des consommateurs
Et le consommateur dans tout ça ? Les citoyens sont de plus en plus sensibles aux enjeux écologiques. Ils doivent rester vigilants face à au greenwashing des entreprises et des politiques, et ont donc besoin d’être bien informés.
Il est primordial de répondre à ces attentes par un discours de transparence et d’éviter les formulations abusives telles que le “neutre en carbone” qui suggèrent qu’une activité, un produit ou un territoire n’a plus aucun impact GES.
En France, la loi climat récemment adoptée par le parlement devait apporter un nouveau cadre législatif au greenwashing. Le texte adopté initialement par l’Assemblée Nationale prévoyait : « Est interdit, dans une publicité, le fait d’affirmer à tort qu’un produit ou un service est neutre en carbone, dépourvu de conséquences négatives sur le climat, ou toute autre formulation ayant une finalité et une signification similaires. »
Cette interdiction se fondait sur le fait que la neutralité carbone pour un produit ou un service n’a pas de fondement scientifique. Mais finalement, le texte adopté par le parlement est loin de l’ambition originelle. Pourront se nommer “neutre en carbone” dans une publicité, tout produit ou service dont l’annonceur rend “aisément disponible au public” :
- Son bilan d’émissions de GES
- Les démarches grâce auxquelles les émissions de GES sont évitées
- Les modalités de compensation des émissions (respectant des standards minimums).
Cette mesure aura un impact dérisoire sur le greenwashing. Dans le futur, méfiez-vous donc de ces entreprises « neutres en carbone” !
Que doit-on en retenir ?
La neutralité carbone correspond à l’équilibre entre les émissions carbones anthropiques et leur séquestration par les puits carbone. Elle n’a de sens qu’à l’échelle globale, mais chaque acteur doit être impliqué à son échelle dans le but de l’atteindre collectivement. Dans cet objectif, il est primordial de réduire nos émissions, et parallèlement, d’augmenter la capacité des puits carbones en priorisant la protection des écosystèmes. Le concept de neutralité carbone étant de plus en plus populaire, il faut être attentif à son utilisation par les entreprises et les gouvernements. En tant que consommateurs et citoyens, nous nous devons de rester vigilants et bien informés !
Sources
https://librairie.ademe.fr/changement-climatique-et-energie/4524-avis-de-l-ademe-la-neutralite-carbone.html
https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20190926STO62270/qu-est-ce-que-la-neutralite-carbone-et-comment-l-atteindre-d-ici-2050
https://unfccc.int/sites/default/files/french_paris_agreement.pdf
https://www.youtube.com/watch?v=DhpgmMOyCtQ
https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/rechauffement-climatique-puits-carbone-sont-ils-fonctionnent-ils-1212/
https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/les-puits-naturels-de-carbone-de-moins-en-moins-efficaces_6138
https://www.info-compensation-carbone.com/comprendre/
https://mrmondialisation.org/plan-zero-carbone-pas-si-vert-que-ca-selon-un-rapport-doxfam/
https://oxfamilibrary.openrepository.com/bitstream/handle/10546/621205/bp-net-zero-land-food-equity-030821-fr.pdf
https://www.carbone4.com/allegations-neutralite-loiclimat